Le football est un sport dur, il peut aussi être violent.
Le réseau de football étudiant a connu un développement remarquable depuis une vingtaine d’années et les équipes québécoises sont devenues les meilleures au Canada, avec de nombreux titres nationaux pour en témoigner.
Ces succès sont toutefois menacés par une baisse continue du nombre d’inscriptions depuis le tournant des années 2010 et ce qu’on a appelé la « crise des commotions ». Au Québec, on est passé d’environ 36 000 joueurs, en 2013, à 26 000 cette saison. Dans la région de Québec, un château fort du football, le nombre d’équipes a chuté de 96 à 68.
Dans le réseau scolaire, on est passé de 17 029 joueurs à 14 665 dans la même période, une diminution compensée en partie par l’augmentation significative du nombre d’inscrits en flag-football.
Dans ce contexte déjà difficile, deux coups litigieux survenus lors d’un match entre le Rouge et Or de Laval et les Stingers de Concordia, le 24 septembre à Québec, ont immédiatement relancé le débat sur la sécurité au football. Diffusées en direct à la télévision, les images des deux coups, non sanctionnés sur le terrain, se sont vite retrouvées sur les réseaux sociaux.
Une autre « crise » dont se seraient bien passés les dirigeants de Football Québec et du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ). À Football Québec, le président Jean-Charles Meffe ne cache pas la gravité de la situation. « C’est d’autant plus problématique que nous devons investir davantage dans des programmes de formation aussi bien des entraîneurs que du personnel d’encadrement médical, alors que nos revenus sont en baisse », explique-t-il en entrevue.
Une occasion manquée ?
Le quart arrière des Stingers, Trenton Miller, lui-même victime d’un des coups litigieux, à Québec le 24 septembre, a publié une vidéo sur son compte Facebook où il rappelle qu'un membre de sa famille est mort sur le terrain, littéralement. « L’oncle de mon beau-frère est décédé en jouant au football. Il est retourné après avoir subi une commotion cérébrale... et il est mort. Sur le terrain. »
L’étudiant à la maîtrise en administration des affaires (MBA), joueur par excellence au Québec en 2015, a déjà subi une grave commotion cérébrale plus tôt dans sa carrière et il a expliqué avoir été souvent frappé à la tête, cette saison encore, alors pourtant que les règlements l’interdisent clairement. Sa vidéo, publiée sur le coup de l’émotion, a beaucoup fait jaser.
« Trenton [Miller] a brisé une loi non écrite du football, mais il n’avait guère le choix, souligne Jean-Philippe Chartier, l’entraîneur-chef des Aigles de Jean-Eudes. La famille du football préfère habituellement régler les problèmes en privé, mais là, c’était difficile de ne pas agir. Il fallait faire preuve de leadership et Trenton en a montré en mettant le doigt sur un problème qui reste bien réel. »
Après un appel des Stingers, le commissaire du RSEQ, Benoit Doloreux, a décidé de sanctionner l’un des deux coups, mais pas celui contre Miller. Gustave Roël, le directeur général du Réseau, a estimé cette semaine en entrevue : « Nous sommes évidemment très déçus que deux joueurs aient été blessés dans ces circonstances, mais le piège, dans une telle situation, aurait été de trop réagir, de ne pas s’en tenir aux livres des règlements pour plutôt passer un message.
« Notre commissaire a bien étudié toutes les reprises vidéo à sa disposition et il a jugé qu’il y avait eu une erreur des officiels sur l’un des jeux, mais pas sur l’autre. Avec le recul, je reste convaincu que ces décisions étaient les bonnes. En revoyant le plaqué sur Miller de tous les angles, on constate que le coup était dans les limites des règlements. »
M. Meffe est aussi de cet avis. « J’ai été impliqué dans le processus d’appel et la décision rendue est conforme à la lettre des règlements. Nous avons toutefois profité de l’occasion pour réunir les officiels et faire le point sur les coups à la tête. On ne peut changer les règlements en cours de saison, mais je peux vous dire que nous avons déjà une version écrite des amendements qui seront proposés pendant l’intersaison, avec de nombreuses précisions sur les techniques de plaqué autorisées ou non. »
Une mentalité à changer
Au niveau élite, le football étudiant est devenu une véritable entreprise. On est encore loin de la NCAA, mais les équipes universitaires, collégiales et même juvéniles (secondaires) sont encadrées par un personnel nombreux et compétent.
« Quand je jouais, au tournant des années 2000, il n’y avait qu’une poignée d’entraîneurs payés dans le réseau scolaire au Québec, rappelle Jean-Philippe Chartier. Aujourd’hui, nous sommes plus de 150. Et il faut ajouter à ça le personnel médical, les préparateurs physiques... »
Selon Jean-Charles Meffe, le phénomène des commotions a obligé Football Québec « à intervenir à plusieurs niveaux pour améliorer la sécurité des joueurs, que ce soit dans la formation et la préparation des athlètes, dans la réglementation ou dans la prise en charge des blessures. Il y a maintenant une obligation d’avoir du personnel formé et qualifié pour évaluer les commotions lors de tous les matchs de football ».
Le football est aussi devenu un élément important de la promotion des écoles. « À certains endroits, au Collège Notre-Dame-de-Foy [près de Québec], par exemple, c’est un véritable moteur pour l’institution et même la région, note Jean-Philippe Chartier. La réputation du sport est donc très importante. »
Chartier est l’un des formateurs de Football Québec pour son programme Contacts sécuritaires mis sur pied en partenariat avec a Ligue canadienne de football. Il a participé à la formation de près de 4000 entraîneurs dans la province, une formation que même Danny Maciocia (Carabins de l’Université de Montréal) et Glen Constantin (Rouge et Or de Laval) ont suivie.
« Il n’y a pas un entraîneur sérieux qui est prêt à risquer la santé de ses joueurs ou de ses adversaires en raison d’un plaqué dangereux », assure Chartier.
« Tout le monde est d’accord qu’il faut faire de la sécurité des jeunes la priorité absolue, mais il faudrait peut-être un peu plus de leadership pour s’assurer que les choses évoluent plus rapidement. »
— Jean-Philippe Chartier, entraîneur-chef des Aigles de Jean-Eudes
Jean-Charles Meffe reconnaît que la culture du football est longue à changer. « Dans le feu de l’action, certains réflexes reviennent instinctivement, explique le président de Football Québec. C’est ce qui est malheureusement arrivé à Québec sur le coup [sanctionné après appel] de Kevin McGee du Rouge et Or. Et ça va malheureusement encore arriver. J’ai l’impression que ça va prendre une génération de joueurs avant que les nouveaux réflexes soient bien acquis. »
Pierre-Alain Bouffard, le jeune entraîneur-chef des Faucons du cégep de Lévis-Lauzon, forme déjà cette nouvelle génération. « J’ai 31 ans et ça ne fait pas longtemps que j’ai arrêté de jouer, explique- t-il. Le football a beaucoup évolué en 10 ans. Il y a 10 ans, quand je suis devenu entraîneur, on parlait beaucoup des commotions et j’ai vu les effets directs sur le nombre de jeunes inscrits à nos programmes, en mini-football notamment, où les parents ne cachaient pas leurs inquiétudes.
« À l’époque, au niveau élite, on cherchait encore des joueurs qui faisaient preuve de beaucoup d’agressivité sur le terrain. Aujourd’hui, on cherche davantage des joueurs qui peuvent exécuter les jeux, qui peuvent aussi bien comprendre les stratégies de plus en plus complexes. »
D’où l’importance de protéger encore mieux le meilleur atout des joueurs de football : leur tête.